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Commençons par élucider rapidement, pour l'éluder ensuite, la cause de cette mort qui a laissé ses proches
et ses amis dans la consternation.
Certes c'est un point mineur, mais les médias ont préféré le mystère, le non-dit (personnalité fragile), voire l'image romanesque (passion
amoureuse), en vertu d'un soi-disant respect de la vie privée.
Mais Christophe Bertrand appartient maintenant à l'histoire, et son héritage compositionnel marqué par la fulgurance et par l'émotion à
fleur de peau est sous-tendu par sa personnalité et son mental.
Christophe Bertrand s'est suicidé à 29 ans.
Et c'est la conséquence presque ordinaire de la grave maladie probablement à type de troubles bipolaires dont il souffrait et qui le conduisait trop souvent en hôpital psychiatrique.
La comparaison pertinente avec Robert Schumann vient à l'esprit qui s'est jeté prétendument dans le Rhin dans le cadre d'une tout autre maladie
mentale à type hallucinatoire, mais il est mort en asile… à 46 ans, et en 1856.
Le fait est qu'aujourd'hui, avec les médicaments et les protocoles modernes, de tels patients peuvent vivre, durant certaines périodes et
longtemps, une vie sociale tout à fait normale… mais sans toujours empêcher la possibilité de l'irréparable.
C'est donc ce visage sociable, construit, organisé (il a co-fondé l'ensemble In Extremis en 2001), ambitieux, énergique («pêchu»), enjoué qu'il laisse à tous ceux (de son Alsace natale si importante à ses yeux, des Parisiens proches de l'Ircam, ou dernièrement de Rome, à la Villa Medicis), qui ont pu l'approcher de près pendant ses (courts) moments de sérénité, voire de bonheur, loin de l'angoisse morbide, du carcan des obsessions et de la souffrance latente.
En à peine plus de 10 ans de carrière de compositeur et de promesses de plus en plus affirmées, que nous a-t-il apporté ?
Tout d'abord, ce qu'il était toujours fier d'affirmer dans son désir extrême de reconnaissance, ses innovations sur le rythme dans la lignée de
Nancarrow et du dernier Ligeti, qui à l'oreille sont uniques (des algorithmes complexes, des procédés mathématiques méticuleux, des répétitions
procédurales) et qui créent ces effets savants de spirales ou de tourbillons jusqu'au vertige (donc un compositeur qui prenait des risques, par
volonté et par besoin, à l'inverse de nombre de ses collègues de la même génération).
Ensuite, la preuve qu'un mental noir-noir (maniaco-dépressif) peut amener à la composition de pièces lumineuses, complexes (ici on pourrait parler de calculs millimétriques tant la précision rythmique et les micro-intervalles sont notables, avec les difficultés d'exécution qui s'en suivent), dynamiques et resserrées (aucune pièce de plus de 30 minutes, pas de mouvement lent ou extatique pour les créations à ce
jour), et même typiquement virtuoses, mais qui sonnent bien et se mettent remarquablement en place.
Enfin, une frénésie compositionnelle incroyable malgré un processus de composition lent, puisque l'on compte une trentaine de pièces avec un haut niveau de qualité d'ensemble, dans tous les genres y compris l'orchestre (sauf l'opéra), avec la surprise de ne constater que 2 petites compositions -de 6 minutes- pour piano solo (lui qui était un pianiste virtuose).
Que faut-il faire pour aller plus loin, pour découvrir sa musique immédiatement reconnaissable, sa patte poly-rythmique pleine de vitalité ?
- Demander aux organisateurs de concerts de créer ou de reprendre ses compositions le plus rapidement possible (tant que l'émotion-consternation perdure dans notre monde actuel de zapping) et bien sûr ses 2 pièces marquantes, "Mana" pour petit orchestre et aussi "Vertigo" jamais jouée à Paris (seulement à Strasbourg et à l'étranger), sans oublier "Scales" pour
grand ensemble (jamais jouée en France*), "Yet" pour ensemble (qui l'a fait connaître à un public plus large en 2002), et toute sa musique de chambre.
- Exiger des producteurs de CD qu'enfin ses pièces soient gravées puis distribuées (pour reprendre, au moins "Mana" -créée sous la direction de Pierre Boulez!- et "Vertigo" un concerto pour deux pianos et grand orchestre, avec pour les exécutants 43 parties réelles et "Hendeka", un trio à cordes avec piano sont déjà à l'INA via France-Musique).
- Visiter son site Internet avec des extraits musicaux -hélas bien courts-, à l'adresse www.christophebertrand.fr.
- Écouter l'entretien radiophonique (sa voix, sa construction intellectuelle) de plus d'une heure réalisé par l'ancienne productrice de radio France, Cécile Gilly, en Mai 2009 dans le cadre de l'émission Miniatures.
- Ne pas manquer "Okhtor", pour orchestre, l'une des ses pièces ultimes, à créer à Strasbourg, le 11 Février 2011 (sans
oublier son 2ème quatuor à cordes en cours de composition, s'il est jouable*).
Souhaitons que le temps réserve à cette belle musique à la fois d'une écriture sophistiquée et d'un plaisir immédiat le succès qu'elle
mérite.
Jean Huber, le 26 Septembre 2010
P.S.: mes plus vifs remerciements au compositeur Philippe Hurel, son professeur pendant 1 an à l'Ircam et son ami de toujours, pour avoir partagé hier quelques moments d'émotion et d'analyse du personnage, de son parcours et de son héritage, et aussi merci aux nombreux messages de soutien comme ceux de Catherine Bolzinger (de l'ensemble vocal Voix de Strass) par e-mail, sans oublier son autre professeur majeur, le compositeur Ivan Fedele
ADDENDUM (4 Mars 2016) : une actualisation de cet éditorial est apparu indispensable car la mémoire de Christophe Bertrand s'est bien perpétrée depuis 2010 (un fait rarissime en musique savante en cas de décès très jeune du protagoniste), et cela de plusieurs façons :
* sa musique a continué à être jouée à Strasbourg et notamment lors du Festival Musica, l'un des plus importants en France (sauf curieusement pour le Festival de 2015 dont le concert d'ouverture coïncidait avec le jour du 5ème anniversaire de sa disparition), et en particulier les pièces posthumes importantes suivantes ont pu y être créées (en 2011), "Okhtor", pour orchestre, et son 2ème quatuor à cordes, et pas très loin, à Metz, "Dall'Inferno", pour flûte, alto et harpe, le 10 Octobre 2012
* sa musique a fait l'objet d'un focus important à Berlin en 2013, lors d'un des plus importants festivals annuels de Musique Contemporaine en Allemagne (fin Janvier), ULTRASCHALL, avec "Hendeka", "Satka", et le 2ème quatuor à cordes
* sa musique a aussi été jouée à Paris lors d'évènements phares de la vie culturelle, à la Cité de la Musique (La Villette), d'abord son 2ème quatuor à cordes, le 24 Janvier 2014, dans le cadre de la Biennale du Quatuor à Cordes (le plus important rendez-vous annuel sur le quatuor en France), ensuite "Scales", le 21 Mars 2015, par l'Ensemble InterContemporain, lors du concert «A Pierre» pour le 90ème anniversaire de Pierre Boulez
* sa musique de chambre a fait l'objet, en Juin 2015, d'un premier CD monographique MOTUS, par un éditeur aventureux (à prix doux), avec au programme "Treis" [2000] pour violon, violoncelle et piano, "Ektra" [2001] pour flûte seule, "Skiaï" [1999] pour flûte, clarinette, violon, violoncelle et piano, "Arashi" [2008] pour alto solo, "Haos" [2003] pour piano seul, "Satka" [2008] pour ensemble de chambre instrumental, par l'ensemble In Extremis (qu'il a co-fondé) et l'ensemble Court-Circuit (de Philippe Hurel) et en bonus, un enregistrement live de "La Chute du Rouge" [2000] pour clarinette, violoncelle, vibraphone et piano, le compositeur étant au piano
* sa musique et le personnage ont été analysés dans un premier livre-témoignage écrit (encore sous le coup de l'émotion) par ses proches amis Strasbourgeois, avec un catalogue presque complet (et quelques notes musicologiques pour chaque pièce), des entretiens (Fedele, Hurel)… un livre bien vivant (recommandé) paru en Septembre 2015, sous la direction d'Olivier Class, chez HERMANN éditeur
* le compositeur a été l'objet d'hommages spécifiques par Pascal Dusapin, et tout dernièrement, le 9 Février 2016, par Marco Momi avec la création de "Almost", un requiem frappé par sa disparition (une belle pièce)
* sa musique, enfin, est aujourd'hui bien cataloguée (il manque encore à l'écoute sur Internet, "Sahn", "Diadème", "Arka", "Crash ?", "Et je sus que j’étais la Lune", et "Arashi" en version pour clarinette, et "Kamenaia", puis des pièces retirées du catalogue mais créées comme "Virya", "Iôa", "Dikha" et "Full" et enfin quelques pièces de jeunesse inédites, voire 1 pièce encore inachevée) sur la plateforme YouTube grâce à un mélomane Parisien qui lui était proche, signant sous le nom d'alias «Diabolusin» (merci à lui !) et aussi grâce au streaming du concert «A Pierre» mise en ligne par la Philharmonie de Paris, avec "Scales", pour grand ensemble (A Pierre) | "Hendeka", pour quatuor avec piano | "Treis", pour 3 instruments | "Virya", pour 4 instruments | "Skiaï", pour 5 instruments | "La Chute du Rouge", pour 4 instruments | "Aus", pour 4 instruments | "Strofa IIB", pour voix et flûte | "Yet", pour petit ensemble | "Arashi", pour alto solo | "Ayas", pour cuivres et percussions | "Madrigal", pour soprano et ensemble de chambre | "Mana", pour petit orchestre (hélas tronquée) | "Satka", pour 6 instruments | "Haïku", pour piano solo | "Haos", pour piano solo | "Ektra", pour flûte solo | Quatuor à cordes n°2 | Quatuor à cordes n°1 | "Vertigo", concerto pour 2 pianos et orchestre | "Okhtor", pour grand orchestre | "Dall'Inferno" |
* en n'oubliant pas de rappeler que son site Internet, WEB, est bien actualisé, notamment pour les concerts récents et à venir… et de demander avec insistance à Radio France, d'éditer en CD, "Mana", "Okhtor" et "Vertigo" dont elle possède les enregistrements live dans ses archives.
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