Franck Bedrossian, a été le
compositeur à l'affiche de la saison de concerts du conservatoire de la
rue de Madrid (Paris) avec des œuvres récentes et des
créations (finalisées pendant qu'il terminait son séjour à la Villa Médicis à
Rome), avant d'émigrer en Septembre à l'Université de Berkeley, Californie,
aux USA, comme son aîné et professeur de composition Gérard
Grisey).
Une musique qui décoiffe !
Déjà récemment la musique de Bedrossian en avait déconcerté
(impacté) plus
d'un, lors de la création de la version révisée -et plus courte- de
"Charleston"
pour 15 musiciens au Festival Présences 2007 de Radio France, en Février
: un concentré de musique radicale, d'une grande beauté, une pièce
démonstrative, euphorisante, emblématique de l'art de la saturation (atteindre les limites de chaque instrument)
qui s'ouvre par un précipité chaotique au saxophone, illustré par des frémissements
fiévreux des autres instrumentistes (comme un chorus de Jazz).
A la rue de Madrid, l'occasion a été donnée d'approfondir cette
première impression déroutante et séduisante à la fois, avec 4 œuvres
: la création Française (réussie) d'une nouvelle version de "It" pour quintette, le 8 Février 2008, le 13 Mars,
la création de "Manifesto" pour ensemble de chambre (également très original), et
le 17 Avril la création de "Tracé d'ombres" pour quatuor à cordes
(une -trop- courte pièce passionnante qui montre que les sons saturés
ne sont pas l'apanage seulement des vents, ni seulement de l'extrême
violence), sans oublier la reprise de
"La solitude du coureur de fond" pour saxophone alto solo (2000).
Franck Bedrossian est un jeune compositeur qui s'affirme à la fois par une
forte personnalité (tout, sauf mou ou mièvre) et... par un langage
original, spécialisé dans l'exploration du son, mais pas de
l'intérieur comme les compositeurs spectraux -Scelsi, Grisey, Murail, Levinas, Dufourt, et leurs prosélytes comme Saariaho, Hurel-, ni en le
déstructurant-dénaturant comme Lachenmann ou son -faux- épigone Andre,
plutôt en le poussant jusqu'à l'extrême par des sons saturés, distordus, déchirés, voire écrasés.
Sa musique, fortement énergique, puissante et dynamique, peut être
tension, gifle et coup de
poings (voire folie, hystérie, ponctuellement), avec un fort désir de
transgression (des instruments, des conformismes, pour aller plus loin),
mais aussi sait se faire caresse, poésie, velours, charme. Elle
s'impose, sans empêcher le rêve, sans se priver de séduire, elle se
métamorphose sans cesse et elle nous surprend, tout en restant
intelligible, tout en nous accompagnant avec complicité, elle semble inexorablement
s'écouler (à la fois torrent et rivière) grâce à un flot-flux
dynamique, à des quasi-monologues continus, et à de subtiles (et
ludiques) articulations (que Grisey n'aurait pas désavouées).
A écouter, à ré-écouter souvent, pour pénétrer ce nouvel univers
inouï et fascinant et pour être -littéralement- transporté... à suivre, donc !
Jean Huber, 15 Juillet 2008
P.S.: pour les malchanceux, un tout neuf (Avril 2008) CD monographique
intitulé "Charleston", une co-production L'itinéraire - Radio France - Académie de France à Rome (Sismal
records), ou un livre «De l'Excès du Son» Édition 2E2M [ISBN
978-2-913734]...
et pour poursuivre sur une voie parallèle... au programme de la rue de Madrid,
une prochaine saison, l'autre compositeur saturateur,
également Français, Raphaël Cendo, lui-même plus proche du Rock que
du (Free)Jazz, également par l'ensemble 2E2M, au chef duquel, Pierre Roulier, il faut
tirer son chapeau (d'admiration).
|
Photo: © Google |